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Les foules sont-elles toujours idiotes ? Non, une foule bien organisée peut-être plus intelligente que même son membre le plus intelligent.
Emile Servan-Schreiber raconte la découverte de la « sagesse des foules », décortique le « théorème de la diversité », et présente la recette de l’intelligence collective.
Transcription
Dans cette partie, vous allez découvrir un type particulier d’intelligence collective qui émerge lorsque de nombreuses personnes tentent de deviner quelque chose. En bref, l’idée est que la réponse collective de plusieurs personnes, la réponse de la foule, est souvent bien plus précise que les réponses individuelles. Ce phénomène est connu sous le nom de « sagesse des foules ». La prévision collective exploite simplement cette étonnante capacité des foules à faire des estimations collectives fiables sur l’avenir. Nous aborderons les prévisions dans les prochaines leçons, mais d’abord, voyons ce qu’est la sagesse des foules.
Le phénomène de la sagesse des foules a été découvert in extremis en 1906 par le scientifique britannique Francis Galton, l’un des plus grands statisticiens de tous les temps. Je dis « in extremis », car Galton a atteint l’âge très mûr de 84 ans ! – et décède quelques années seulement après avoir publié cette dernière découverte.
Galton visitait une foire de campagne lorsqu’il a remarqué une foule de plusieurs centaines de personnes autour d’un bœuf. Ils participaient à un concours pour essayer de deviner le poids de l’animal, ou pour être plus précis, de deviner le poids de la viande provenant de son charcutage. Chaque participant payait un petit droit d’entrée et inscrivait sa meilleure estimation sur un ticket. La plus précise de ces estimations remporterait alors le concours, ainsi que son prix en viande.
Pourquoi Galton a-t-il trouvé cela intéressant ? Eh bien, il s’est rendu compte qu’il pouvait utiliser ces estimations pour déterminer si un grand nombre de non-spécialistes étaient capables de porter un jugement collectif intelligent. À l’époque, le Royaume-Uni débattait de l’idée d’une forme de gouvernement plus démocratique, faisant de la sagesse des foules un sujet brûlant. En tant que membre de l’élite du royaume, Galton était initialement sceptique quant à la capacité des non-initiés à émettre des jugements précis.
Pour étudier la question, Galton s’est arrangé pour récupérer tous les billets après le concours. Il a classé les 787 estimations par ordre croissant, de la plus faible, environ 400 kg, à la plus élevée, environ 700 kg. Il a ensuite identifié l’estimation la plus centrale, appelée la médiane. La médiane est très particulière car c’est la seule estimation qui ne soit pas considérée comme trop basse ou trop haute par la majorité des participants, ce qui signifie qu’il y a exactement le même nombre d’estimations au-dessus qu’en dessous de la médiane. Cela a amené Galton à déclarer que la médiane était une mesure de la vox populi, la voix du peuple. En d’autres termes, le choix de la foule toute entière.
Cette estimation médiane, celle de la foule, était de 548 kg, soit 5 kg de moins que le poids réel du bœuf (543 kg). Plus tard, Galton a calculé la moyenne des estimations – une autre façon de consolider l’estimation de la foule – et elle s’est avérée encore plus précise, avec un écart d’à peine un demi-kilo par rapport au poids réel.
La sagesse des foules obéit à 3 lois, que l’exemple de Galton illustre parfaitement. La première est que le jugement collectif est généralement plus intelligent que la plupart des jugements individuels. Nous pouvons vérifier cette affirmation en comparant l’erreur moyenne d’un individu au sein de la foule, à l’erreur de la moyenne de toute la foule. Dans ce cas particulier, l’erreur individuelle moyenne – c’est-à-dire le taux d’erreur auquel on s’attendrait en choisissant quelqu’un au hasard – était d’environ 4,5 %, tandis que l’erreur de la foule dans son ensemble était essentiellement de 0 %. Ces résultats confirment bien la première loi de la sagesse des foules : « l’erreur de la moyenne est inférieure à l’erreur moyenne ».
« l’erreur de la moyenne est inférieure à l’erreur moyenne ».
La deuxième loi est que la taille de la foule importe – les foules plus grandes sont plus intelligentes. Regardez comment l’erreur de la foule diminue à mesure que nous intégrons de plus en plus d’estimations individuelles dans la moyenne.
« l’erreur de la moyenne est inférieure à l’erreur moyenne ».
La troisième loi est observable dans la forme de la courbe de la sagesse de la foule. Elle présente un rendement décroissant. Lorsque vous augmentez la taille de la foule, l’erreur diminue fortement au début, puis de plus en plus lentement. Un groupe de 10 personnes a une erreur qui est 3 fois plus petite que celle de l’individu moyen. Mais il faut 100 personnes pour diviser à nouveau l’erreur par 3. Et puis une foule de 450 personnes… L’implication est que la plupart des avantages de l’intelligence collective sont obtenus au départ : même les petites foules sont beaucoup plus intelligentes que les individus, et il n’est pas nécessaire d’avoir une énorme foule pour être beaucoup plus sage.
L’erreur réduit de façon décroissante: on trouve le plus grand gain en intelligence au début. Les petits groupes peuvent donc aussi être intelligents.
Jusqu’à présent, nous avons décrit le phénomène de la sagesse des foules, mais nous n’avons pas vraiment expliqué comment cela fonctionne. Par quelle magie un jugement collectif intelligent peut-il émerger de la combinaison de nombreux jugements individuels imparfaits ? Évidemment, point de sorcellerie… juste des mathématiques. L’idée centrale tient au fait que le jugement de chacun contient à la fois de l’information et de l’erreur. Généralement, chaque jugement est erroné d’une manière différente. Ainsi, lorsqu’ils sont combinés, les informations s’additionnent, tandis que les erreurs s’annulent.
Par exemple, dans le cas du bœuf de Galton, quelqu’un peut avoir sous-estimé son poids de 50 kg, tandis qu’une autre personne peut l’avoir surestimé de 47 kg. Lorsque les deux jugements erronés sont combinés par le calcul de la moyenne, le résultat est seulement 1,5 kg en dessous du poids réel. Un jugement presque parfaitement exact.
La formule mathématique qui sous-tend la sagesse des foules s’appelle « le théorème de la diversité ». Elle a été découverte par le sociologue américain Scott Page. Elle semble compliquée, mais ce qu’elle dit est très simple, et pourtant profond : l’erreur collective est égale à l’erreur individuelle moyenne, moins la diversité des estimations. En d’autres termes, la taille de l’erreur d’un groupe est réduite lorsque les erreurs individuelles sont plus petites – c’est évident – mais elle est également réduite lorsque des personnes différentes commettent des erreurs différentes. C’est la composante de diversité. En raison du signe moins ici, plus les gens sont en désaccord, plus le groupe gagne en intelligence. C’est pourquoi la diversité des points de vue, qui implique une diversité d’erreurs susceptibles de s’annuler mutuellement, est si importante pour l’intelligence collective.
Vous pouvez donc interpréter cette formule comme signifiant simplement que l’intelligence collective d’un groupe dépend autant de l’expertise individuelle que de la diversité des opinions. L’expertise et la diversité sont complémentaires et interchangeables. Si la plupart des gens ne sont pas des experts, vous pouvez compenser en recherchant une plus grande diversité d’opinions. Ou si tout le monde pense de la même manière, il vaudrait mieux qu’ils soient très compétents.
Voici un exemple tiré d’une expérience menée en 2011 par un groupe de chercheurs américains et israéliens. Elle portait sur la capacité des gens à prédire les résultats des procès aux États-Unis, en particulier le montant des indemnités accordées par le jury. Parmi les participants, des avocats chevronnés avec 20 ans d’expérience professionnelle, mais aussi des étudiants de la faculté de droit de l’université de Stanford, sans doute très brillants, mais sans expertise particulière. Comme vous pouvez le constater, l’erreur moyenne d’un étudiant était deux fois plus importante que l’erreur moyenne d’un avocat. L’expertise fait une énorme différence ! Pourtant, lorsque les estimations de plusieurs étudiants sont combinées, la diversité des opinions du groupe compense le manque d’expertise individuelle. L’erreur collective des élèves diminue de sorte qu’un groupe de 14 élèves est tout aussi intelligent qu’un expert. Et un groupe de 15 étudiants est légèrement plus intelligent encore…
Mais les experts peuvent aussi ne pas partager le même avis, et c’est souvent le cas, de sorte que leurs opinions peuvent aussi être combinées pour obtenir des jugements plus précis. La combinaison de seulement 2 opinions d’experts augmente la précision de 25%. Il faut maintenant 42 étudiants pour égaler la performance de deux avocats. Malheureusement, les avocats aguerris ne sont pas très enclins à suivre les conseils : ils accordent moins de poids aux estimations de leurs pairs et ne profitent donc pas des vertus de la sagesse de la foule.
Tout ce discours sur les foules sages est bien beau, mais nous avons tous rencontré des groupes profondément stupides, n’est-ce pas ? Nous avons tous été témoins du fait que même des personnes intelligentes – peut-être même nous-mêmes – peuvent devenir stupides lorsqu’elles font partie d’une foule. Bien sûr, la stupidité collective existe elle aussi. Il y a des foules intelligentes et des foules stupides, et la plupart des foules sont en effet naturellement stupides. Pour rendre une foule intelligente, il faut l’organiser correctement. La recette de l’intelligence collective, adaptée du célèbre livre du journaliste américain James Surowiecki, nous explique comment procéder :
Tout d’abord, chacun doit être incité à penser, et ce de manière indépendante. L’indépendance permet à la diversité d’opinions de fleurir, en encourageant les individus à exprimer leurs points de vue uniques. L’ennemi de l’intelligence est la conformité, pas la foule elle-même. Un groupe intelligent doit chercher à faire émerger toutes ces opinions divergentes au lieu de rechercher le consensus. Ensuite, une dernière étape permet au groupe de prendre des décisions malgré les désaccords : l’agrégation objective.
Le mécanisme d’agrégation le plus pertinent dépend de ce qu’une foule donnée essaie d’accomplir. Si elle est chargée de désigner un dirigeant, le vote à la majorité est une bonne solution. Si on lui demande de deviner le poids d’un bœuf, la moyenne mathématique de toutes les estimations fera l’affaire. S’il s’agit de prédire l’avenir, laisser les gens parier sur les résultats est un moyen efficace de consolider des prévisions divergentes. Voilà, en substance, ce qu’est la prévision collective : exploiter la sagesse de la foule pour prédire l’avenir.
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