Qui prédit le mieux les élections présidentielles 2022 ? Les pronostiques de Hypermind ont battu ceux des principaux sondeurs français 87% du temps, avec une précision environ deux fois supérieure.
Comme l’a encore montré cette élection présidentielle, « faire mentir les sondages » n’est pas à la portée de tous les candidats, y compris les plus méritants ou persévérants. Mais il semblerait que ce soit quand même plus facile que de « déjouer les pronostics », cet autre mantra des candidats à la traîne.
Autrement dit, pour anticiper les résultats d’une élection, il vaudrait mieux consulter des parieurs qu’écouter les sondeurs. Nous avons pu le vérifier déjà en 2017, et à nouveau en 2022, en comparant les prévisions du panel des pronostiqueurs Hypermind-Le Point aux estimations des instituts Ifop, Ipsos et OpinionWay.
"Pour anticiper les résultats d'une élection, il vaudrait mieux consulter des parieurs qu'écouter les sondeurs
Sondages rolling vs concours de prévisions
Les sondages reposent sur un échantillon représentatif
Notre étude porte en particulier sur les sondages dits « rolling » qui sont publiés quotidiennement en renouvelant un échantillon représentatif d’électeurs d’un tiers à chaque fois tout en éliminant les données les plus anciennes.
« Alors qu’un baromètre classique peut être comparé à une succession de photographies, le rolling permet de restituer en temps réel le film de l’élection, » explique l’Ifop sur son site.
Au cours des douze dernières semaines de la campagne présidentielle 2022, les rollings des trois instituts interrogèrent au total les préférences ponctuelles d’environ 100 000 électeurs.
La prévision collective réunit les paris de nombreux pronostiqueurs aguerris
La méthode de l’institut prédictif Hypermind-Le Point fait plutôt appel à l’intelligence collective via un système de paris en ligne. Elle est issue des programmes de recherche sur la prévision collective menés au cours de la dernière décennie par les agences de renseignement des États-Unis.
Au lieu de sonder les préférences ponctuelles d’échantillons représentatifs d’électeurs, on anime un concours de pronostics sur le résultat ultime du scrutin. Quelques centaines de politologues amateurs – recrutés principalement parmi nos lecteurs – font évoluer leurs prévisions et les meilleures sont récompensées.
La prévision collective est mise à jour quotidiennement en calculant une moyenne pondérée de la moitié la plus récente des pronostics individuels. Dans cette moyenne, on accorde plus de poids aux pronostics de ceux et celles qui ajustent souvent leur prévision ou dont le palmarès est établi dans des concours précédents (comme au cours de concours de prévision de la sévérité de maladies infectieuses).
Le duel Macron-Le Pen en 2022: la performance de Hypermind par rapport aux sondeurs
2x plus précis
1.3 points d'écart avec le score de Macron, contre 2.9 pour les 3 principaux sondeurs
Plus proche du résultat final 87% du temps
Sur 146 jours de sondages rollings, Hypermind était plus proche 128 jours
Par rapport aux 143 sondages rolling publiés entre le 1er février et le 22 avril concernant un duel Macron-Le Pen au second tour, l’estimation collective du panel des parieurs, relevée quelques heures avant la publication de chaque sondage, était plus proche du résultat final dans 128 cas, soit 90 % des fois.
Dans le détail, l’estimation Hypermind-Le Point était meilleure dans 95 % des comparaisons avec Ifop, 91 % des comparaisons avec OpinionWay, 77 % des comparaisons avec Ipsos, et 87 % des comparaisons avec l’estimation moyenne des trois instituts. L’écart moyen des estimations quotidiennes avec le score final d’Emmanuel Macron au second tour était de 1,3 % pour Hypermind contre 2,9 % pour la moyenne des estimations des trois sondages rolling.

D’aucuns feront valoir que cette comparaison est bancale, car les intentions de vote relevées par un sondage ne prétendent pas constituer une prévision du résultat du scrutin.
« Par définition, les sondages ne se trompent jamais, car ils n’ont pas vocation à prédire », se sentent souvent obliger de rappeler les sondeurs, comme Laurence Parisot, qui dirigea autrefois l’institut Ifop.
C’est techniquement vrai et en même temps un peu fallacieux, car ceux qui consomment les sondages électoraux ont faim de prévisions. D’où l’intérêt d’une approche complémentaire qui ne prétend pas faire autre chose que de la prévision pure, surtout si elle permet de mieux anticiper les résultats.
On pourrait aussi se dire que le panel Hypermind-Le Point a eu de la chance cette année, mais l’avantage des parieurs est aussi vérifié par les résultats de l’élection présidentielle de 2017.
Les pronostics de la lutte à quatre de 2017
À l’époque les rollings d’Ifop et d’OpinionWay (PrésiTrack) publiaient des « pronostics de victoire » selon les pourcentages de leurs échantillons qui croyaient en la victoire de chaque candidat. Ces pronostics pouvaient être comparés aux probabilités de victoire produites par les parieurs du marché prédictif Hypermind-Le Point, même si elles étaient subtilement différentes : quand un institut proclamait « x % des électeurs croient en la victoire » d’un candidat, le marché rapportait plutôt que « l’estimation collective des parieurs est que ce candidat a y % de chances de gagner ».
Sur une période de 10 semaines précédant le 1er tour, le pronostic quotidien du marché prédictif était plus juste que celui du rolling Ifop dans 93 % des cas, et meilleur que celui d’OpinionWay dans 89 % des cas.
Pour mesurer l’erreur de tels pronostics, il est usuel d’utiliser le « score de Brier » qui est d’autant plus faible que la prévision est bonne. Une prévision parfaite obtiendra un score de 0 tandis qu’une prévision aléatoire sur 5 réponses possibles et mutuellement exclusives (Macron, Mélenchon, Fillon, Le Pen, quelqu’un d’autre), aura une erreur de 0,8. À cet aune, le pronostic quotidien du panel Hypermind-Le Point était en moyenne 27 % meilleur que celui d’Ifop, et 19 % meilleur que celui d’OpinionWay.

Comment prédisait-on avant les sondages ? Le pari.
Ces résultats sur deux élections présidentielles françaises consécutives attestent de la pertinence de solliciter l’intelligence collective de centaines de politologues amateurs via des paris en ligne, en particulier quand ils sont recrutés parmi nos lecteurs. Mais ils n’étonneront pas ceux qui connaissent l’histoire des paris politiques.
Les sondages d’opinion « scientifiques » ne furent inventés par l’Américain George Gallup qu’en 1936. Jusque-là, comment prédisait-on les résultats des élections américaines ? En pariant chez les bookmakers des trottoirs de Wall Street !
Dans les archives des quotidiens de l’époque, les chercheurs ont découvert que ces anciens marchés politiques de l’ère pré-sondagière ne se trompaient pratiquement jamais : sur 14 élections présidentielles entre 1880 et 1932, le favori des parieurs ne perdit qu’une seule fois.
Plus étonnant encore, les cotes relatives des candidats prédisaient déjà aussi bien les marges de victoire que ne le font depuis les sondages d’intentions de votes. D’une façon ou d’une autre, les marchés présidentiels de Wall Street arrivaient à quantifier l’opinion publique aussi précisément que le firent plus tard les sondages. Autrement dit, l’invention de Gallup n’améliora pas notre capacité à anticiper le résultat d’une élection. L’intelligence collective savait déjà faire.
Aujourd’hui, les marchés prédictifs modernes, comme le nôtre, remettent cette vénérable méthode au goût du jour. Grâce au Web et aux algorithmes, on a pu améliorer encore la performance en éliminant les bookmakers du processus.
Les plus grands perdants de 2022
Il est intéressant de repasser le film de l’élection 2022 sous l’angle des paris sur le marché prédictif. Il aide à établir un classement des plus grands perdants, c’est-à-dire celles et ceux qui ont le plus gâché leurs chances.
Ce n’est pas Jean-Luc Mélenchon, qui n’a, selon les parieurs, jamais eu plus de 5 % de chances de gagner. Ni Marine le Pen, dont les chances ont culminé à moins de 20 % juste avant le 1er tour. Valérie Pécresse a été plus décevante, elle à qui l’on accordait presque 30 % de chances de gagner au lendemain de sa brillante victoire à la primaire LR.
La médaille du plus grand « loser » revient en fait à Éric Zemmour. D’abord pour avoir gâché le potentiel de sa fulgurante percée en octobre, où il atteint presque 40 % de chances de gagner, puis pour s’être fait briser les ailes fin février par l’invasion russe en Ukraine après une brève remontada qui le plaçait à nouveau devant ses deux rivales à droite.
Cette ingérence de Vladimir Poutine dans la campagne présidentielle semble d’ailleurs en avoir été le facteur déterminant. On voit que jusque-là le statut de favori d’Emmanuel Macron ne lui assurait aucunement la victoire.
Sa côte était restée stable entre 50 % et 65 % de chances de gagner du début l’année 2021 jusqu’à fin février. Finalement, cette élection aura été moins influencée par le pouvoir d’achat des Français que par le pouvoir de nuire des Russes.